HMC219_Corsier-Genève, Philippe Meyer Architecte FAS SIA_Best Architect 2022
3 villas, rassemblées par un même socle commun, leur garage.
3 villas, légèrement décollées du sol par un socle, dans la négation volontaire d’un rez-de-jardin.
3 villas, contenant 15 appartements par unité, réunis par une distribution centrale.
Les espaces extérieurs, replantés et aménagés autour des unités bâties, reconstituent ce qu’était autrefois un parc, pas de véhicule en surface, pas ou peu de surface minérale. Les trois unités, pour limiter l’impact de la construction, occupent de manière dissociée, l’espace du parc laissé libre après démolition de la villa actuelle, un parc unique à l’usage de tous et de chacun.
Chaque villa, chaque étage, joue sur la transparence et la massivité, associe pleins maçonnés et vides constitués de loggias, volumes de simple vitrage utilisables en hiver comme en été, associant verre transparent et verre émaillé.
Chaque villa, chaque combinaison d’étage, recherche à la fois, vue et lumière naturelle, entrevoit l’autre, sans jamais donner à voir directement et, dans un catalogue raisonné de matérialités, s’inscrit dans la lecture d’un ensemble.
La construction emploie un seul matériau refusant tout artifice de façade, tout habillage, associant béton préfabriqué et briques monothermes, simplement enduites d’un crépi à la chaux. Les menuiseries sont de deux ordres, métalliques, minimales, ouvertes le plus largement vers la vue et la lumière, bois, solides, cadrant et définissant l’intimité des espaces de nuit.
Chaque appartement reçoit une ou deux loggias utilisant un simple vitrage guillotine, qui, placées sous les meilleures expositions, apportent un complément au confort thermique.
Les partitions internes, construites en bois sont isolées de liège pour le meilleur confort phonique et sont habillées de panneau de chêne huilé. Les sols, enfin, alternent parquet de chêne ou chape de béton poncé.
3 villas, entre colline et lac.
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Ci-après, récente parution
in FACES_Journal d’architecture #81, hiver 2022
« Les sentinelles du paysage » Paolo Amaldi
Depuis la route de Hermance, axe routier qui traverse les villages en bordure du lac Léman, le paysage qui se déroule sous nos yeux alterne villages-rue ramassés autour de fontaines et de vieilles bâtisses en pierre, enfilades de grandes propriétés densément arborées, vignobles sagement organisés et, aussi, un paysage plus désolant, composé de villas mitoyennes de nouvelle génération, à savoir des cubes mal dégrossis troués de façon hasardeuse, ou encore, des petits immeubles dits habitats groupés, composés d’appartements enchâssés dans des formes oblongues. Comment intervenir dans un site en partie rongé par la périurbanisation – nous pourrions citer en comparaison la région du Tessin où, dans les années 1970, la génération de Botta, Snozzi, Galfetti se confrontaient déjà à un territoire gangrené par la maison unifamiliale – mais qui conserve, malgré tout, la poésie d’antan des bords du lac ?
La réponse de Philippe Meyer semble une évidence, aujourd’hui que le projet est là et que vous pouvez l’arpenter ; et pourtant elle contrevient à un certain nombre de réflexes d’architectes. Pour commencer, elle détourne la question de la forme. La bonne réponse réside dans le choix d’une échelle pertinente, car, comme le remarquait Philippe Boudon, seule l’échelle donne la mesure de l’espace. Et Gregotti dans le Territorio de l’architettura de préciser qu’une butte n’est pas une colline qui n’est pas une montagne. Ici nous sommes sur un terrain collineux légèrement pentu, qui descend aimablement vers le plan d’eau. Aucun geste héroïque, aucun socle, ne s’impose. Nous ne nous agrippons pas à un pied de montagne ni à un terrain escarpé. Philippe Meyer pense à trois maisons ou trois tourelles, trois sentinelles dressées qui s’adressent au paysage et qui ne sont pas sans rappeler les tours qui ponctuaient les châteaux et les fortifications bâtis depuis le Moyen Âge sur cette côte, dans des localités bien connues des Genevois : Meinier, Collonge-Bellerive, Hermance ou Ivoire, constructions documentées par les vues pittoresques de l’illustrateur du XIXe siècle Philip Jamin.
La deuxième idée – contrevenant au réflexe récurrent d’un architecte qui doit valoriser un site fortement orienté vers le lac – consiste à construire un avant et un arrière. Ici, ces trois sentinelles que l’on aperçoit depuis la route s’ouvrent de façon mesurée et calibrée dans quatre directions, elles regardent autant le massif des Voirons que le lac et, derrière, la chaîne du Jura, dont la vue est en partie obstruée par les constructions plus récentes – mais on pourra s’en accommoder. La logique de la frontalité que supposent la vue et le site en pente est détournée au profit de tensions diagonales dans la composition générale, le jardin aménagé rendant bien cette idée du pittoresque et des cheminements de traverse que produisent et induisent les trois bâtisses disposées en quinconce, comme si ces trois tourelles, couvertes par des toits à quatre pans et surmontées de puissantes cheminées, étaient finalement des points de vue disposés librement dans un jardin paysager, utilisant les frondaisons des jardins des propriétés alentour comme fond. Un lieu non pas délimité mais borné de trois masses bâties, qui rappelle le Jardin de Julie dans la Nouvelle Héloïse, lequel avait pour cadre le Léman et les montagnes, mais ne présentait « pas de vue en dehors du lieu et on est très content de ne pas en avoir ». Aux vues d’ensemble Meyer préfère une vue rapprochée, changeante, plus intimiste, qui stimule davantage l’imagination.
C’est donc à l’échelle rapprochée que ces trois maisonnées affichent leur matérialité sans artifice ni habillage, combinant béton préfabriqué, briques isolantes enduites d’un crépi à la chaux – comme de coutume pour les murs les anciennes bâtisses de la région – et grandes baies vitrées. Massivité et transparence, douceur et rugosité. L’ordonnancement de ces façades est aussi clair que les matériaux sont variés et contrastés, conférant une épaisseur aux façades, s’appuyant sur des dispositifs astucieux d’ouverture qui permettent de mettre à bonne distance l’extérieur, comme le montrent les vitrages coulissant verticalement des loggias par le biais de contrepoids. Bref, une densité formidable de couches de matière qui se lisent en transparence, presque jusqu’à saturation visuelle, auxquelles s’ajoutent les rideaux des habitants, dernière touche spontanée dans un environnement réglé au centimètre : cette succession de plans se matérialise notamment dans le jeu des lames de cuivre ouvragé des claires-voies qui s’avancent au-devant des vitrages et filtrent le regard croisé entre les habitants, dans les cadres des châssis en bois des grandes fenêtres, dans les couches des vitrages superposés des loggias.
Quant au plan des appartements – un par étage –, il s’organise de façon rotative autour d’un noyau central, privilégiant ici encore des vues diagonales qui augmentent d’autant la perception de la profondeur des espaces habités. Tout est strictement orthogonal dans les plans et pourtant les espaces répondent au principe du dégagement et de l’échappée par la diagonale, y compris vers le paysage plus lointain.
Si le projet adopte un principe de fragmentation programmatique reliée par les parkings en souterrain, il réussit par une disposition habile – négociée avec les autorités car elle contrevient aux distances imposées par la réglementation – à ne pas saturer le site et à préserver la fluidité des parcours. Finalement, ce choix d’une implantation forte – plus que d’une forme forte – car c’est cela dont il s’agit, consiste à faire le pari d’une forme épannelée, propre à la tradition moderne, mais dont on n’aurait conservé que les trois extrémités. Trois objets s’attirant et se repoussant avec la même force, flottant au-dessus de la déclivité d’un sol naturel reconstitué, évoquent par leur complexité d’écriture à la fois des tours de garde, des villas, des pavillons, des « folies » posées dans un jardin paysager.