Une situation singulière dans un ensemble bâti remarquable
Le site se situe sur deux parcelles contigües, chacune occupée par un petit immeuble construit au début des années 30 au moment de la création du quartier. Les deux objets sont quasiment identiques et offrent chacun 3 logements répartis sur 3 niveaux. Leur gabarit, relativement petit par rapport aux autres ensembles du quartier, explique certainement pourquoi le Plan de Quartier mis au point dans les années 1990 prévoyait de les remplacer par un immeuble unique de plus grande dimension. Fait rarissime dans l’urbanisme de plots lausannois, cette particularité va permettre au projet d’occuper l’espace entre les immeubles rompant ponctuellement l’ordre non contigu.
Multiplicité des usages et cohérence urbaine
Le projet commence par l’achat d’un petit immeuble de trois appartements par trois familles. Les logements existants étant un peu petits au vu des besoins de chaque famille (environ 80m2), les études de faisabilité pour étendre les appartements s’engagent. Il s’avère que le propriétaire de l’immeuble voisin, qui a précédemment exploré la possibilité d’une surélévation, se montre intéressé à s’engager dans un projet commun. Cette opportunité va permettre de mutualiser les travaux et surtout de développer un projet cohérent à l’échelle des deux parcelles. Néanmoins, les besoins de chaque famille varient et le projet va s’employer à répondre aussi précisément que possible aux attentes de chacune tout en offrant une image et un récit cohérent à l’échelle du quartier.
Faire image : entre identité singulière et relation au contexte
Si le volume de l’extension est à première vue relativement simple (un parallélépipède remplissant le vide situé entre les deux plots) une série d’attentions et de variations formelles lui permettent d’établir un dialogue avec son contexte. Ainsi, le retrait du plan de la façade par rapport aux bâtiments existants permet à l’extension d’être perçue plus tardivement lorsqu’on longe la rue, maintenant ainsi la perception d’une suite de plots autonomes qui caractérise l’urbanisme du quartier. De même les joints négatifs sur les flancs de la façade offrent à l’extension son autonomie. Le traitement des façades en terre cuite émaillée de couleur verte renforce cette lecture d’un volume indépendant et, grâce aux jeux de reflets qu’elle engendre, permet de faire varier l’extension au gré de la météo.
En pied de façade, le socle en béton reprend l’expression des socles des plots tout en tirant parti de la variation d’altimétrie pour créer un jeu dans le dessin de la façade.
En toiture, l’émergence du mur de refend central sous la forme d’une dent permet également d’articuler la différence de niveaux entre les deux flancs de l’extension tout en rappelant les silhouettes des cheminées avoisinantes. Ces modénatures sont autant d’attentions qui qualifient l’expression du projet et articulent les particularités typologiques et structurelles.
Tectonique ludique et expression architecturale claire
Les transformations sur les bâtiments existants (agrandissement des balcons, percements de fenêtres, réfection de la toiture) sont traitées en continuité avec les matérialités et les écritures d’époque afin de renforcer le contraste entre l’extension et les bâtiments originels.
L’écriture architecturale cherche à transformer positivement les contraintes. Qu’elles soient d’ordre structurel, technique ou d’usage, ces données deviennent des opportunités qui confèrent sa singularité au projet. Plutôt que de chercher une écriture homogène et générique, le projet se développe selon une série d’interventions fines qui démultiplient les moments plastiques et ludiques. Ainsi, l’emmarchement qui permet de rejoindre le jardin depuis le séjour situé au rez-de-chaussée de l’extension est l’occasion de fabriquer un gradin de largeur variable, permettant de s’assoir ou de s’adosser selon les envies.
Cette approche est reconduite à l’intérieur des logements, par exemple lorsque le bâtiment existant entre au contact de l’extension. Ces passages offrent l’opportunité de mettre en scène une demi-colonne soutenant le linteau créé pour l’occasion. À l’intérieur de l’extension, la façade existante en crépis est préservée et permet de jouer sur l’étrangeté d’un dehors devenu dedans.
Les ouvertures de la façade existante incorporée à l’espace intérieur sont ponctuellement conservées pour faire naitre des jeux visuels entre les espaces des appartements.
Économie de moyens et enjeux constructifs
L’extension est intimement liée aux bâtiments existants pour sa stabilité. En effet, dans un souci d’économie de moyens, les dalles portent transversalement entre le nouveau mur central mitoyen en bois et les façades latérales en briques. La préparation des appuis ponctuels dans les façades existantes a nécessité un travail fin de coordination afin de permettre ensuite un montage aisé de la structure préfabriquée en bois. Cette structure légère en bois, entièrement réalisée en atelier, fut livrée et montée en quelques jours. Les dalles ont ensuite été lestées par du gravier afin de garantir l’isolation phonique entre étages.
Par ailleurs, le projet est l’occasion de refaire entièrement la toiture du premier bâtiment. Cette refonte complète répond à plusieurs besoins : elle permet à la fois à la charpente d’accueillir une isolation suffisante mais aussi de libérer l’espace des combles des nombreux appuis et pièces de charpente qui l’encombraient. Une fois libéré et pourvu de larges lucarnes orientées dans les quatre directions, l’espace offre un volume généreux accueillant les pièces de vie d’un appartement en duplex. Néanmoins, le règlement obligeant à conserver les formes et l’inclinaison du toit, les choix de volumétrie étaient limités. Cet impératif a conforté le traitement de l’extension comme un objet singulier et distinct des volumes existants.
Des réponses typologiques multiples
Les réponses typologiques sont étonnamment nombreuses et variées au regard de la taille du projet. Dans le premier plot, la substance typologique est profondément remaniée. Les transformations sont opérées pour permettre l’installation d’un appartement co-parental, permettant à un couple séparé de disposer chacun d’un logement autonome connecté à une “suite enfants”. Ainsi, sans avoir besoin de changer de lieu de vie, les enfants peuvent rejoindre l’appartement de l’un ou de l’autre parent selon les dispositions de garde. Concrètement, le premier appartement s’installe sur les deux premiers niveaux de l’extension tandis que le second occupe les deux derniers niveaux de l’immeuble existant. Au milieu, la “suite enfants” (chambre, salle de bain et salle de jeux) se connecte à l’un ou l’autre des logements aux moyens de portes palières. Deux autres appartements préexistants subsistent et complètent par ailleurs le bâtiment.
L’apparition d’une typologie sur plusieurs étages dans l’extension nécessitait la création d’une nouvelle circulation verticale. Celle-ci se loge dans le volume de l’immeuble existant pour libérer l’espace contraint de l’extension. Ses dimensions réduites permettent également de loger les salles de bains et ainsi d’éviter de complexes passages de réseaux sanitaires dans l’extension. L’escalier en bois se présente comme une fine hélice qui relie les trois niveaux. Le lien avec le niveau sous la toiture se fait, quant à lui, au travers d’un escalier autonome dont la balustrade arrondie vient habiter l’espace des combles.
Dans le second plot, les surfaces offertes dans l’extension accueillent parfois la cuisine et une petite chambre ou une large suite parentale. Dans tous les cas, la typologie originale de l’appartement est remaniée pour étendre la zone de vie commune au sud, côté jardin, en y intégrant des cuisines ouvertes sur l’espace de vie pour répondre aux modes de vie contemporains.
Des aménagements extérieurs ouverts et fluides
Dans le jardin, les terres d'excavation du sous-sol de l’extension sont utilisées pour produire des plateaux horizontaux tout en maintenant la lecture de la déclivité naturelle du terrain. La limite entre les deux parcelles est simplement marquée par une noue remplie avec les pierres déterrees lors des fouilles et permettant l'infiltration du trop-plein du bac de récupération des eaux de pluie.
Autour du bâtiment, une large zone en graviers du lac reprend les aménagements existants de l’époque tandis qu’au droit de l’extension, côté rue, une large zone de bosquets permet de mettre à distance les regards sans nécessiter la mise en place d'une clôture physique. Ce dispositif de seuil permet au parvis des immeubles d’accueillir visiteurs et habitants de manière fluide.
Un engagement fort pour la durabilité
La question de la durabilité a orienté tous les choix du projet. Cet engagement a permis de déterminer une posture, à la fois exigeante du point de vue des performances tout en refusant des solutions techniques trop lourdes ou complexes. L’usage du béton est limité au stricte nécessaire, notamment pour les fondations de l’extension. Ainsi, l’usage d’une structure en bois est maximisé. L’enveloppe des bâtiment a été très largement améliorée via l’isolation des dalles sur caves et combles, et également via le remplacement de l’intégralité des menuiseries extérieures par des cadres en bois de haute performance. La solution la plus originale réside dans l’insufflation d’un matériau inerte à base de verre recyclé dans l’interstice des double murs en brique des façades. Pour la production de chaleur, le projet repose sur deux chaudières à pellet, une dans chaque bâtiment. Elles fonctionnent en complément d’un réseau de capteurs solaires installés en toiture. Les poêles installés dans chaque appartement permettent également d’assurer le confort des habitantes et habitants en augmentant les températures intérieures de manière ponctuelle. Enfin, dans les douches, des récupérateurs de chaleur permettent de réduire d’un tiers la consommation d’eau chaude.
La vie entre la ville
Le projet témoigne de la capacité du patrimoine lausannois à évoluer pour répondre à l’évolution des enjeux contemporains tout en conservant les qualités matérielles et formelles de l’architecture du plot.
COMMENTAIRE du jury
Plutôt qu’une extension, ce projet est avant tout une résolution. Il concrétise le besoin de trois familles, en réadaptant les typologies de l’habitat à la complexité des familles recomposées d’aujourd’hui. Surtout, il investit une « dent creuse » comme prolongement commun de deux bâtiments existants. L’examen des plans et de la coupe montre un réglage minutieux, avec des altimétries savamment calées. Au-delà de cette science, un tel projet montre comment des solutions innovantes peuvent naître d’une écoute réciproque pour aboutir à ce projet de maisons « trois en un » - dialogue, conviction, se soutenir pour le meilleur. Dans ce cas précis, l’architecture ne s’impose pas aux habitants. Ce sont les besoins des habitants qui génèrent une architecture inattendue, redonnant de la noblesse à des terrains négligés dans la ville. Un tel projet souligne la dimension pragmatique d’une architecture pensée sans apriori formel, mais toujours capable d’offrir des solutions optimales et inattendues.
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